La célébration de la Fête nationale de la femme appelle à poser une problématique centrale du point de vue de la modernité : celle du port du voile. En effet, les Tunisiennes sont d’abord des citoyennes. C’est cette qualité première qu’il faut compter pour résoudre l’incompatibilité du port du voile et des valeurs de la République. En fait, le projet des islamistes, par un certain nombre de ses préceptes- le port du voile, la séparation des hommes et des femmes dans certains lieux, par exemple-, semble être incompatible avec les règles de la République. L’affaire du voile qui n’est pas un épiphénomène, est, à cet égard, assez symptomatique.
D’ailleurs, ce n’est pas le port en lui-même qui pose problème, mais ce dans quoi il s’insère : une conception des rapports hommes-femmes qui contredit le principe d’égalité républicaine et les acquis de la modernité. Pour l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates, il n’ y a dans cet habit aucune marque qui lie les Moutadaynat, « aux mères, grand-mères et aïeules, mais rupture avec toutes les traditions vestimentaires du pays et valorisation d’un modèle très répandu dans les pays où les femmes continuent de subir la polygamie, la répudiation, le divorce unilatéral, la tutelle matrimoniale et bien d’autres discriminations».
Il est évident que la déferlante du voile est bien de nature politique. Elle véhicule dans ses plis un aspect du projet islamiste. La réaction récente du chef du Mouvement « Ennahdha » le montre et le démontre. Dans un communiqué rendu public le 12 octobre 2006, le Mouvement Ennahdha dénonce l’ « offensive contre le port du voile qui est devenu une véritable affaire d’Etat ». « Il s’agit d’une scandaleuse offense à l’intégrité morale » de la population et une atteinte grave à la liberté de conscience. Selon le Mouvement Ennahdha « cette agression contre la population tunisienne ne doit pas rester sans réponse ». « L’application du décret 108 interdisant le port du voile dans les lieux publics contredit fortement la Constitution tunisienne qui stipule que la Tunisie est un pays islamique». Par ailleurs, le communiqué souligne l’urgence qu’il y a pour « contraindre le régime à cesser ses attaques sans précédent contre la population tunisienne »et« appelle à une mobilisation générale contre ce projet d’effacement de notre identité musulmane ».
Ainsi, les « Nahdaouis » semblent avoir changé de stratégie. Incapables de prendre le pouvoir par la force, ils préparent leur ascension politique en noyautant la société. En commençant par les femmes, qu'ils considèrent comme la cible la plus vulnérable. Ils trouvent malheureusement un élément de soutien stratégique dans les relais médiatiques et surtout dans chaînes satellitaires arabes dont les prédicateurs, à l’instar du célébrissime cheikh égyptien Amr Khaled, sont des sermonneurs redoutables. Les barbus agressent quotidiennement les acquis de la modernité et les droits de la femme à travers ces chaînes satellitaires sur « Nilsat » et « Arabsat ».
Le débat national engagé ces derniers jours sur la question du voile et les réactions du chef du Mouvement « Ennahdha », montrent peut être l’urgence qu’il y a pour les démocrates, les partis politiques engagés dans le processus démocratique, les élites intellectuelles, les ONG, les médias et les féministes de mener une opération de communication visant deux objectifs :
-réfuter le discours de ceux qui cultivent un amalgame entre « liberté de conviction » et port du voile et montrer que le port du voile constitue un étendard idéologique et politique ;
- montrer à partir de l’exemple du port du voile l’essence de l’islamisme -comme vision idéologique et conception du monde.
Le choix sociétal moderniste engagé en Tunisie depuis la promulgation du Code du statu personnel en 1956 qui prend en compte l'égalité et la liberté est un choix de société qui nous concerne tous. Or, ce choix ne peut se réaliser par la banalisation du port du voile. C’est dire l’urgence du combat politique, intellectuel et culturel contre la recrudescence du port du voile.