lundi 5 juillet 2010

A PROPOS DE LA LOI 61 BIS

Tous les pays du monde veillent à la protection de leur sûreté intérieure et extérieur contre toute atteinte, et ce, par des instruments répressifs.
La Tunisie ne fait pas exception à cette règle. Depuis son indépendance et après avoir recouvré sa souveraineté, elle a intégré dans sa législation pénale et plus précisément dans le code pénal, des dispositions qui incriminent et répriment de telles atteintes.
L'évolution des formes d'atteinte à la sureté de l'état a imposé une révision substantielle de ces dispositions. C'est ainsi que plusieurs pays ont, à cet égard, incriminé ces nouveaux comportements.
La loi complétant l'Article 61 bis de code pénal tunisien s'inscrit dans cette évolution puisque cet article se rapporte à quelques infractions contre la sûreté extérieure de l'état. La révision concerne l'incrimination d'incitation des parties étrangères à nuire aux intérêts fondamentaux de la Tunisie quant à sa sécurité économique. Il énonce que:
"Est coupable de la même infraction prévue au paragraphe précédent et encourt les mêmes peines indiquées à l'Article 62 du présent code, tout tunisien qui aura sciemment entrepris, directement ou indirectement, des intelligences avec des agents d'une puissance, d'une institution ou d'une organisation étrangères, en vue de porter atteinte aux intérêts vitaux de la Tunisie. Sont considérés intérêts vitaux de la Tunisie, tout ce qui se rapporte à sa sécurité économique."
Il est à noter qu'on distingue parfois et d'une manière générale en matière d'attentats contre la sûreté de l'état, entre le concitoyen et l'étranger. En effet, la qualification de l'infraction diffère selon chacune de ces catégories.
Eu égard à la nature des faits et à leur spécificité, les dispositions sus-énoncées ont spécifié que l'auteur de l'infraction doit être de nationalité tunisienne.
Une attention particulière à été portée à la précision que doivent revêtir les éléments de l'infraction, de telle sorte qu'ils ne soient pas susceptibles d'interprétation non voulue qui dépasse les objectifs d'incrimination. Ainsi il n'y aura aucune place pour une lecture ouvrant la voie à une extension des poursuites. Il est nécessaire que l'auteur du fait incriminé entretienne des intelligences avec des parties étrangères, que ce soit directement ou indirectement, pour inciter à nuire aux intérêts vitaux du pays et qui doivent être en l'occurrence liés à l'intérêt économique de l'état. L'incitation doit être évidemment directe et dans le but de porter atteinte aux intérêts vitaux de l'état, ce qui exclut tout agissement, par la parole ou par des actes, qui soit dénué de cette intention même si le résultat de cet agissement a des conséquences dommageables. L'incrimination ne peut avoir lieu que si les intelligences avec les parties revêtent le caractère d'incitation à nuire aux intérêts vitaux du pays.
Aucun rapport ne pourra être établi, quel que soit le cas, entre cette incrimination et les libertés garanties par la constitution, notamment la liberté d'expression.
Comme il a été énoncé, l'expression de toute opinion, même ayant un effet dommageable, n'est point incriminée.
Le fait incriminé, en l'occurrence, consiste en l'accomplissement d'actes par un tunisien, portant incitation de parties étrangères à nuire aux intérêts vitaux de pays liés exclusivement à la sécurité économique.
Nul ne peut mettre en cause que l'état - tout état- a l'obligation de protéger sa sécurité, même dans les limites de ses seuils minima, particulièrement si ce qui est visé sont son existence et son entité.
La constitution tunisienne garantit les droits et les libertés, et énonce pour chacun le droit de les exercer pleinement. Cependant l'exercice de ces droits et libertés peut être limité si cette limitation vise à atteindre un objectif ayant valeur constitutionnelle, à l'instar de la sécurité de l'état sans laquelle, aucun projet ne peut être réalisé, qu'il soit économique ou social, particulièrement en termes de préservation des droits et des libertés. A cet effet, la jurisprudence constitutionnelle a établi des critères parmi lesquels la limitation à la liberté doit être restreinte aux contours de l'objectif en question, de telle sorte qu'elle ne vide pas ce droit de sa substance, tout en garantissant un équilibre entre les exigences de la sécurité et le respect du droit garanti ou la liberté consacrée, et ce, sous le contrôle du conseil constitutionnel qui a déclaré compatible la présente loi avec la constitution sur la base des critères précités.
Il est à noter que les législations de plusieurs pays incriminent l'atteinte aux intérêts vitaux de la nation avec un élargissement de la notion de ces intérêts permettant d'appréhender les intérêts économiques, sociaux et culturels voire environnementaux, alors même que le texte tunisien a limité ces intérêts à la seule sécurité économique.
On peut citer, à titre d'exemple, l'Article 266 bis du code pénal suisse qui incrimine et prévoit une peine d'emprisonnement à l'encontre de "celui qui…..sera entré en rapport avec un état étranger, ou avec des partis étrangers, ou avec d'autres organisations à l'étranger, ou avec leurs agents, ou aura lancé ou propagé des informations inexactes ou tendancieuses….".
Ceci dépasse de loin les limites énoncées en droit tunisien pour cette conception.
Noureddine CHAFAI
Source : Tunisnews du 3 juillet 2010