«Le paysage syndical français est un grand corps malade sous tente à oxygène. Les grandes confédérations sont devenues une sorte de village Potemkine, vous savez, ces façades en trompe-l’œil qu’on dressait en Russie sur le passage de l'impératrice Catherine pour cacher la misère ». Cette donné objective reconnue par de nombreux observateurs permet d’expliquer, entre autres, la fuite en avant des syndicats français et qui cherchent par tous les moyens de jouer la carte de la diversion pour détourner l’attention de l’opinion publique française sur ce qui ronge le syndicalisme français depuis des années et des années.
Cet état de fuite en avant trouve son illustration caricaturale dans un communiqué commun daté du 16 juillet courant, dans lequel le collectif des syndicats CFDT, CGT, FSU, Solidaires et Unsa «exige la libération immédiate de Fahem Boukadous ainsi que celle de »Hassen Ben Abdallah, un jeune chômeur condamné à la même peine en avril dernier pour des raisons similaires ». La crise sociale qui sévit en France, les licenciements quotidiens des travailleurs, la détérioration du pouvoir d’achat des Français, l’ultralibéralisme sauvage qui frappe durement dans de nombreux pays du monde, ce n’est pas la tasse de thé de collectif des syndicats.
En effet, le constat des sociologues est accablant : des syndicats institutionnalisés qui se sont peu à peu coupés du terrain et de leurs maigres adhérents. Alors, par quelle alchimie des syndicats dont des directions syndicales apathiques qui avalent couleuvres sur couleuvres au nom d’un syndicalisme jaune de négociation alors que les conditions de travail se dégradent depuis vingt ans pour la majorité des salariés français et des ses syndicats aux sources de revenus inavouables venant du patronat et de multiples caisses noires osent-ils parler de la liberté d’expression ici ou là dans le monde ?
Deux syndicalistes spécialistes des affaires de corruption, Jean-Luc Touly et Christophe Mongermont, tentent depuis des années de percer ces mystères en compagnie du journaliste Roger Lenglet. Dans L’Argent noir des syndicats (éd. Fayard, 2008), ils décrivent, de nombreux exemples à l’appui, comment des secteurs entiers du syndicalisme sont financés en sous-main par le patronat, par les pouvoirs publics en détournant notamment l’argent de la formation, ou par les caisses paritaires comme la Caisse d’assurance maladie ou le 1 % logement. A cela s’ajoute la corruption de syndicalistes qui «ne se réduit pas à des pratiques isolées ou à des caricatures comme le voudraient les leaders syndicaux, mais qui est aujourd’hui un phénomène de grande ampleur», assure Roger Lenglet, prenant l’exemple des sociétés de nettoyage, «un secteur particulièrement touché où on croise des délégués purement et simplement achetés par les directions ».
Mais l’urgence est là, et les fuites en avant ne sont plus de mises. Mesures anticorruption, transparence des financements, démocratie interne, révolution culturelle pour bousculer la langue de bois syndicale et inventer de nouvelles formes d'action... le chantier à venir des syndicats est immense. A moins d’attendre qu’un nouveau communiqué du type de celui sur le cas Fahem Boukaddous ne révèle davantage à l’opinion publique française et internationale la dimension affolante de ce théâtre d’ombres que sont devenus les syndicats français qui ont tout à fait intérêt à commencer par balayer devant chez eux. Sinon le réveil risque d’être douloureux.